Le Conseil départemental du 22 février étudiait le plan d’actions proposé par la majorité des Droites en faveur de la prévention et de la protection de l’enfance, secteur en grande souffrance depuis des années. Cette feuille de route départementale qui intervient dans un contexte d’alertes multiples et de mobilisations constantes des professionnels a été jugée « trop floue », « trop dispersée » ou encore « insuffisamment dotée » par l’ensemble des élus du Conseil, sauf ceux du groupe majoritaire qui ont été les seuls à le voter.
Maryline Fournier, pour le groupe des élus de la Gauche combative, communiste et républicaine est revenue de manière détaillée et étayée sur l’analyse de cette feuille de route, mais aussi pour porter les revendications des travailleurs sociaux.
« Monsieur le Président,
« La protection de l’enfance vise à garantir la prise en charge des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement, à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation », telle est la mission assignée par la loi aux pouvoirs publics.
Pourtant, depuis des années, tout le secteur de la protection de l’enfance est en crise grave et les professionnels multiplient les alertes, les mobilisations, en exprimant leur malaise et leur mal être dans des métiers difficiles où ils sont dépourvus des moyens adaptés pour exercer correctement leurs missions. Sans compter des rémunérations très éloignées de l’utilité de leur métier.
Il en résulte une baisse de la qualité du suivi et des prises en charges, un manque de personnels et de places, une inadéquation entre les besoins d’accueil et les capacités, des mesures judiciaires non exécutées et des enfants toujours à la rue.
Pour citer uniquement la dernière alerte reçue, le réseau des Délégués départementaux de l’Education Nationale au Havre, les DDEN, vient de saisir les élus sur la situation d’une soixantaine d’enfants actuellement dépourvus d’hébergement.
Je ne veux pas m’étendre sur le constat affligeant, sur les carences que cette feuille de route entend corriger, il y aurait tant à dire, mais tout de même j’ai été interpellée à la lecture de ce document sur le peu de place consacrée aux raisons qui ont conduit à ce désastre pourtant annoncé.
Rien que pour notre Conseil départemental, nous avons recensé pas moins d’une quinzaine d’interventions en séance plénière de la part de différents groupes dont le nôtre ces dernières années, pour alerter et demander des mesures d’urgence. Certes, il y en a eu. Je pense au renforcement de l’accueil d’urgence au Havre, au renforcement des ISCG (Intervenant social commissariat gendarmerie) notamment sur le secteur Dieppe-Neufchâtel, ou aux dispositions prises en faveur des mineurs non accompagnés, mais visiblement nous étions loin du compte.
Oui, c’est vrai, les besoins d’accompagnement et de prise en charge sont en constante évolution, mais cela n’explique pas tout, d’autant que le propre des politiques publiques, des services publics est bien de s’adapter aux besoins voire de les anticiper.
La responsabilité de l’Etat, de ses gouvernements successifs depuis 20 ans, comme la responsabilité de notre collectivité ne peuvent pas se voir exonérées et passées sous silence au prétexte de l’évolution des besoins.
La prévention spécialisée a vu ses budgets réduits de moitié, comme ceux de la Protection Judiciaire de la Jeunesse pour ne prendre que cet exemple.
Plus de missions, moyens en berne depuis des années, quand les courbes se croisent, il faut repenser nos priorités et optimiser l’utilisation des ressources.
Alors, c’est vrai aussi, cette feuille de route entend venir corriger la situation et mobilise des moyens. Les actions annoncées, la création de places vont dans ce sens, ce bon sens, même si nous pouvons douter qu’elles soient suffisantes vue l’étendue de la correction qu’il va falloir apporter.
Je constate que les objectifs sont nombreux, on en dénombre 20, et que les actions associées ne le sont pas moins puisque j’en dénombre 108 différentes.
Je crains malheureusement que cette profusion ne laisse place à un éparpillement, voire une dilution de ces actions.
Le paradoxe de l’abondance nous montre que plus n’est pas toujours mieux. Il est important de trouver un équilibre et de ne pas se perdre dans toutes les directions en définissant des priorités et objectifs précis à cette feuille de route.
Les moyens étant limités, vaut-il mieux de se concentrer sur les problèmes en amont des situations de placements d’enfants, de manière à tarir la source des difficultés qui conduisent ces enfants à la protection dont ils ont droit.
Précisions également : quand ce rapport entend, par exemple, ouvrir plusieurs centaines de places dans le cadre d’un vaste plan d’urgence, de combien parle-t-on précisément ? Est-il possible d’avancer un chiffre ? Sans objectifs plus précis, quelles leçons pourrons-nous tirer des actions réalisées ?
La manière dont la feuille de route a été élaborée depuis et à partir des rencontres départementales organisées en janvier 2023 est un gage de pertinence.
Nous sommes cependant surpris que les organisations syndicales des personnels oeuvrant dans le secteur de la protection de l’enfance n’aient pas été plus associés à ces réflexions, à ces définitions. Ils sont pourtant porteurs d’une expertise, d’expériences et de propositions qui nous paraissent indispensables.
Nous le savons bien, ces métiers si utiles et si exigeants sont de moins en moins attractifs et il faudra qu’ils regagnent en attractivité. Tout comme devront être développées les places en formation en IFEN ou à l’IDS.
Même nécessité au-delà des mesures déjà prises et de celles annoncées dans ce rapport pour valoriser, mieux accompagner et recruter des assistants familiaux trop souvent découragés.
Plusieurs actions de ce programme ciblent l’école, la détection et l’accompagnement depuis le milieu scolaire. Pourtant, le Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, le RASED, est en difficulté, et sur plusieurs territoires il est en lambeaux.
Même constat pour la médecine scolaire jadis si performante. Combien d’établissements dépourvus de médecin, d’infirmière, de psychologue, d’assistante sociale ?
Et je ne parle pas des Centres médico-psychologiques, les CMP confrontés à une pénurie de moyens aggravés par le désengagement de l’Education Nationale, avec des délais de prise en charge beaucoup trop élevés et des antennes locales pourtant si utiles qui ont dû fermer.
Là encore, au-delà de ce que le Département peut et doit mobiliser, notre devoir est d’agir plus fermement en direction de l’Etat et de ses ministères concernés.
Un exemple parmi d’autres : la politique migratoire étant une compétence de l’État et de l’Union Européenne, l’augmentation du nombre de personnes se présentant comme Mineurs Non Accompagnés, auprès des services départementaux de l’enfance n’est pas le fait des Départements, les jeunes concernés relèvent, en conséquence, de la solidarité nationale et non de la solidarité départementale, donc s’il est légitime que le Département accompagne ces mineurs au titre de la compétence en matière de protection de l’enfance, il est nécessaire que l’État compense au centime près et rembourse les sommes engagées par le Département.
Renforcer le partenariat entre les différents services de la protection de l’enfance, c’est aussi se tourner vers les associations et les autres acteurs du territoire en mettant en place des collaborations ponctuelles ou régulières avec ces derniers.
Exemple, dans l’action N°7, il est indiqué « garantir les actions collectives thématiques telles que le soutien à la parentalité » alors que cette action est souvent portée par les centres sociaux des territoires, je m’interroge sur la pérennité de cette orientation quand on connait les difficultés financières auxquels sont et vont être confrontés nos centres sociaux dans les mois à venir.
Enfin, la lecture de ce rapport nous laisse dubitatif concernant un point essentiel : celui des moyens humains.
Nous sommes ici dans un secteur très sensible puisqu’il concerne des enfants et jeunes en fragilité ou en souffrance et nous sommes ici pour les détecter, les accompagner dans des métiers de l’humain.
Or, comment pourrait-on croire pouvoir atteindre tous les objectifs assignés sans recourir à des embauches de travailleurs sociaux ? Or cette nécessité est clairement affichée uniquement pour les assistants familiaux, pour le reste elle est seulement induite, notamment dans l’énumération des places supplémentaires créées.
Nous ne disposons d’aucun chiffrage, d’aucune estimation, sur les créations de poste au sein de notre collectivité ou dans les structures partenaires.
Plutôt que d’ajouter du contrôle à du contrôle, je préfère renforcer les effectifs, la responsabilisation et l’autonomie des acteurs de terrains en leur fixant des objectifs clairs et précis mais qui les laissent libres de choisir les moyens pour les atteindre tout en mettant en place des indicateurs de suivi pour évaluer l’efficacité de leurs actions. Cela favorise une culture de confiance et de dialogue et encourage les acteurs à prendre des initiatives.
Cela va de pair avec une revalorisation de leur grille de salaire en adéquation avec la multiplication et la complexité de leurs missions.
En raison de ces différentes réserves, nous nous abstiendrons sur cette délibération parce qu’il est urgent de réagir à la hauteur des enjeux, des besoins mais aussi des manquements accumulés qu’il nous faut désormais combler. »
Quelques chiffres :
- En Seine-Maritime, la prévention et la protection de l’enfance repose sur le Département, ses agents et ceux de 23 partenaires dont le principal est l’IDEFHI (Institut Départemental de l’Enfance, de la Famille et du Handicap)
- 7.000 mineurs sont placés sous la responsabilité du Président du Département.
- 300 mesures judiciaires de placement ne sont pas exécutées actuellement.
Pour visionner l’intervention de Maryline FOURNIER : Plan actions protection enfance vidéo – MF
Pour télécharger l’intervention de Maryline FOURNIER : Plan actions protection enfance – MF
Nicolas LANGLOIS a également pris la parole au cours du débat :