Le Conseil départemental a débattu, lors de sa séance du 10 octobre, de l’encadrement 2025 des tarifs des établissements et des services médico-sociaux pour personnes âgées et pour personnes en situation de handicap (dont les EHPAD et les services d’aides à domicile), relevant de la compétence départementale.
Sophie Hervé, pour le groupe des élus de la Gauche combative, communiste et républicaine, a une nouvelle fois dénoncé la crise qui affecte tout ce secteur d’activité, et appelé le gouvernement a prendre ses responsabilités pour traduire concrètement dans les faits ses engagements en faveur du grand-âge et du handicap.
« Monsieur le Président, Chers Collègues,
Cette délibération habituelle à cette époque de l’année, est importante pour les gestionnaires des établissements et services médico-sociaux, notamment parce qu’elle va leur fournir des éléments clés pour établir leur prochain budget.
Exercice qui vire souvent au casse-tête, tellement c’est compliqué de nos jours d’administrer un EHPAD, un établissement pour personnes en situation de handicap ou encore un service d’aides à domicile.
Tout le secteur est en crise, et on peut même ajouter une série de « S » à crise :
- La crise des financements et difficultés pour répondre à l’accroissement des besoins à couvrir, des places d’accueil supplémentaires à offrir ;
- Les effets de l’inflation fortement subie ces dernières années et qui, même si elle se stabilise relativement, ne conduit pas pour autant à des baisses de charges pour l’énergie, l’alimentation ;
- La perte d’attractivité des métiers, certes encensés pendant la crise COVID mais toujours en tension malgré les premières mesures prises pour les revaloriser ;
- Donc difficultés à recruter, à stabiliser les équipes, recours excessif à l’intérim, et encore quand c’est possible et en supportant des surcouts considérables ;
- Les exigences, les pressions de plus en plus fortes sur les agents et cadres médico-sociaux, parfois sur les élus des Conseils d’administration des organismes gestionnaires, parce qu’ils doivent supporter en première ligne toutes les turpitudes d’un système qui dysfonctionne, en exposant au passage plus que de raison leur responsabilité…
Je pense notamment, ce n’est qu’une illustration parmi tant d’autres, aux EHPAD au sein desquelles des résidents devenus au fil du temps des patients, doivent y demeurer malgré des pathologies et un état de santé qui ne sont plus compatibles avec la vie en EHPAD, et qui nécessiteraient donc un accueil à l’hôpital. Seulement voilà, l’hôpital ne peut plus toujours y répondre parce que lui-même est en crise et en saturation, surtout l’été.
Alors dans l’attente qu’enfin l’État prenne les choses en main, pour en finir avec des années d’atermoiements et de beaux engagements sans suites réellement efficientes, pour que le vieillissement, les problématiques induites par le grand-âge, la perte d’autonomie, soient enfin prises en compte au bon niveau, les départements jouent les pompiers de service, enfin ils essayent en tout cas.
Certes, la loi d’avril dernier porte des mesures utiles pour prévenir la perte d’autonomie, mieux signaler les maltraitances comme l’exigeaient les constats affligeants du scandale ORPEA, ou encore faciliter le travail des aides à domicile, mais elle relève plus d’un socle, d’un service minimum, sans aller jusqu’à réformer comme il se doit tout le système.
La loi Grand-âge promise par Emmanuel Macron il y a 6 ans maintenant a été maintes fois annoncée, maintes fois repoussée.
Les élus et acteurs du secteur ont exhorté Michel Barnier à faire de la loi Grand-âge une priorité, et notamment, je cite, face au « mur démographique » qui se rapproche. Lors des assises nationales des EHPAD, il a même été déclaré que l’inaction n’est plus une option aujourd’hui… même si l’auteur de cette alerte, le maire Horizons de Reims aurait été bien inspiré d’en parler aussi avec Edouard Philippe lorsque celui-ci était à Matignon.
Aujourd’hui Agnès Canayer qui a rejoint l’équipe gouvernementale auprès du Ministre des solidarités pourrait aussi relayer.
Car, dans son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre n’a pas jugé utile de s’y arrêter… Pas un mot sur les personnes âgées vulnérables et les professionnels qui sont à leurs côtés. Pas un mot sur la crise financière majeure qu’affrontent les établissements, et les collectivités locales qui les financent.
Pourquoi ? Parce qu’ici, au-delà des réformes structurelles, il y a besoin de mobiliser des budgets importants pour nos anciens. Or, cela n’est pas trop macron-compatible avec les nouveaux tours d’austérité que nous prépare ce gouvernement.
Dans ces attentes et dans ces conditions qui perdurent le Département tente de faire au mieux.
Il y a quelques années, avec cette délibération, c’était plus simple… On agissait notamment par le levier de l’encadrement annuel des hausses de tarifs autorisés pour les établissements.
Puis, année après année, ce mécanisme ne fut plus suffisant. On y a ajouté des dérogations, des exceptions autorisées au taux d’encadrement que l’on vote. On a créé des mesures spécifiques pour les établissements qui ont contractualisé avec la collectivité à travers un CPOM.
Et comme cela n’a pas suffit, on a créé des enveloppes complémentaires.
Et même avec tout cela, des établissements ne font plus face et sont au bord de la fermeture. Fermeture qu’il est hors de question d’acter, donc on crée, comme le fait l’État aussi, des enveloppes réservées aux établissements les plus en difficultés parmi tous les établissements en difficultés…
Mais quand l’établissement est géré, ce qui est en plus en plus rare et comprend bien pourquoi, par une commune et son CCAS, c’est le budget communal pourtant déjà bien contraint, qui est appelé pour financer les déficits et garder ainsi la clé sur et pas sous la porte…
Résultat, il devient de plus en plus difficile d’y voir clair dans les propositions précises d’encadrement figurant dans cette délibération. Je vous avoue très sincèrement que cela devient compliqué de nous positionner. Est-ce assez ou pas compte tenu des divers éléments rappelés au début de mon propos : inflation, intérim etc… ? Le « assez » étant tout à fait relatif…
Les mesures additionnelles suffisent-elles pour maintenir la tête tout juste hors de l’eau pour tous les établissements ?
Nous finissons par nous y perdre, en particulier aussi au passage, sur l’impact direct de nos décisions sur le reste à charge des résidents et de leurs familles.
Par contre un élément semble évident, il nous a sauté aux yeux et il nous inquiète, c’est le taux d’encadrement des tarifs fixé dans votre proposition à +1,7% pour l’hébergement et +1% pour la dépendance, alors même que la Banque de France estime, au mieux, l’inflation en 2025 à 2%.
Donc, l’année n’a même pas commencé que les établissements ne pourront pas bénéficier d’une revalorisation au moins égale à la hausse des prix qu’ils vont supporter. 2025 n’a pas commencé que les établissements partent déjà avec un handicap supplémentaire à couvrir…
Nous prendrons par conséquent notre décision de vote après les échanges qui accompagnent cette délibération, ou le cas échéant en commission si elle devait être réunie au cours de ces débats, mais nous ne nous voyons pas voter favorablement dans l’état actuel des choses.
Un dernier mot sur l’accueil en établissement médicalisé pour personnes handicapées puisque cette délibération comporte un recensement de l’existant et les projets à venir.
Tout le monde le sait, beaucoup de retard s’est accumulé pour couvrir les besoins. Résultat les familles passent un temps fou à chercher des solutions. Il y a des listes d’attente partout et avec des situations parfois humainement dramatiques quand le maintien à domicile n’est plus du tout tenable. Alors là aussi, il faut rattraper et dans des délais intenables.
Nous avons bien noté que cela progresse à petits pas.
Mais nous avons aussi relevé le décalage entre les annonces et engagements pris au niveau national notamment par Emmanuel Macron (+50.000 places) et la réalité concrète des possibilités à court terme en Seine-Maritime (+86 places)… On n’est pas au bout du chemin !!
Moralité de tout cela, si la réponse publique ne s’écartait pas du bon niveau des besoins à couvrir, nous n’aurions pas de courir pour tenter de rattraper le retard, ni mettre en place des plans de sauvetage, des fonds d’urgence etc…
On nous dit souvent qu’une bonne gestion des deniers publics, c’est une gestion qui tient compte des réalités du contexte financier et budgétaire. Si l’on s’en tient à cette définition, on peut tout fermer ! Quant à Bruno Le Maire il peut rester en Suisse en qualité d’exilé.
Pour notre part nous préférons cette autre définition : gérer c’est surtout prévoir et savoir anticiper !
Ce en quoi, dans ce domaine comme dans d’autres, on peut adresser un sérieux carton rouge à ceux qui gouvernent le pays depuis bien trop d’années… »
Le groupe de la Gauche combative, communiste et républicaine, pas convaincu par les réponses apportées en séance, s’est finalement abstenu sur cette délibération.
Pour télécharger l’intervention de Sophie HERVE : Tarifs 2025 ESMS – SH