« Refusons la chasse aux pauvres qui tourne à l’obsession », l’appel de Sophie Hervé

« Refusons la chasse aux pauvres qui tourne à l’obsession », l’appel de Sophie Hervé

Au cours des débats organisés au début du Conseil départemental du 7 octobre, le groupe des élus de la Gauche combative, communiste et républicaine a choisi comme thème le refus de la chasse aux pauvres et de la culpabilisation des milieux populaires en écho aux déclarations du Président de la République et du Président du Département. C’est Sophie Hervé qui a sonné la charge en affirmant en préambule : « Considérons que les assistés, ce sont ceux qui s’en mettent plein les poches, bénéficiant de lois sur mesure ou d’arrangements fiscaux, ceux qui spéculent sur l’énergie, les denrées alimentaires et nourrissent l’inflation. »

« Je rassure tout d’abord mes collègues socialistes, le titre de ce débat choisi par notre groupe, ne nous invite pas à débattre de l’instauration de la ZFe sur la Métropole rouennaise, bien qu’il puisse y avoir un lien, mais ce serait prendre le grave sujet que nous voulons traiter ce matin, par le petit bout de la lorgnette.

D’autant que dans les oppositions légitimes à cette ZFe précipitée qui pénalise les automobilistes les plus modestes, nous pourrions souligner quelques contradictions avec des prises de position exprimées récemment pour culpabiliser et pointer du doigt les plus démunis.

Non, ce débat ce matin, c’est d’abord pour lancer un cri d’alerte, un cri de colère : il y en a assez de cette chasse aux pauvres qui tourne à l’obsession ! Il y a assez de ce matraquage des milieux populaires,

  • Accusés de ne pas traverser la rue pour trouver un travail ;
  • De profiter de l’allocation de rentrée scolaire pour changer la télé ;
  • De vivre au crochet de ceux qui bossent grâce à la perception des alloc ou du RSA ;
  • Et désormais priés de mettre un pull cet hiver, d’abandonner sa vieille voiture et de se cantonner aux pâtes et à la purée.

Quant aux demandeurs d’emploi, dont le gouvernement veut de nouveau baisser les droits au nom d’un dispositif de solidarité jugé trop abondant, rappelons-nous que des études avérées ont démontré que la part de versement abusif était estimée à 0,5%.

Si nous sommes parfaitement d’accord pour en finir avec les assistés, mettre un terme aux abus qui minent la société, assèchent la Sécurité Sociale et alimentent les inégalités, sources de tensions et d’exclusion, alors attaquons nous tous ensemble aux profiteurs, les privilégiés et leurs privilèges.

Les privilèges, ceux-là même que notre Révolution Française dont la référence figure dans l’ADN de toutes les formations politiques présentes dans ce Conseil, a mis un point d’honneur à abolir, sans jamais d’ailleurs y parvenir. Non seulement les privilèges du sang, du rang, de la naissance n’ont pas disparu, mais les privilèges de l’argent sont venus s’y additionner.

Considérons que les assistés, ce sont ceux qui s’en mettent plein les poches, bénéficiant de lois sur mesure ou d’arrangements fiscaux, ceux qui spéculent sur l’énergie, les denrées alimentaires et nourrissent l’inflation.

Les plus gros bénéficiaires d’allocations publiques, ce sont eux et les grandes entreprises dont ils sont souvent actionnaires, qui à coups de CICE, de réforme de la Flat Tax, d’exonérations sociales et fiscales, de diminution des impôts sur les société et d’abandon de l’Impôt sur la fortune prospèrent sur le dos de tous ceux qui travaillent.

Ceux qui travaillent, parlons-nous en justement. Ces salariés qui pour 1 sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté, et qui pour 8 sur 10 connaitront cette année une évolution de leur salaire très très inférieure au coût de l’inflation qu’ils subissent chaque jour.

Des salariés à qui l’on refuse idéologiquement d’aligner les rémunérations sur l’inflation.

1002 milliards d’€… la richesse des 500 plus grandes fortunes de France a augmenté de 5% et atteint désormais ce chiffre pharaonique.

80 milliards d’€… la fraude et l’évasion fiscale continuent de violer la loi et de priver nos services publics de financements essentiels pour la santé, l’éducation, l’accompagnement de nos ainés.

Jamais notre pays n’a été aussi riche, jamais dans notre pays les riches n’ont été aussi riches, et pourtant la pauvreté s’étend, la précarité galope, le pouvoir d’achat chute pour une majorité de Français. Souvent travailler ne suffit plus ou suffit à peine pour payer ses factures.

De cette gigantesque fabrique des inégalités en vigueur depuis plus de 20 ans, de cette fracture sociale qui exacerbe les tensions et met à mal notre démocratie marquée par une défiance envers les institutions et la politique, l’humanisme le plus élémentaire qui sommeille en chacun de nous devrait tous nous pousser à dire STOP.

Stop avant qu’il ne soit trop tard.

Stop pour remettre sur les rails de notre modèle et idéal républicain les bases d’une société plus juste et plus humaine, qui prendrait bien soin de chacun, qui agirait enfin pour mieux répartir les richesses afin de permettre à chacun de vivre décemment, quitte à ce que les plus riches le soit un peu moins, ils le resteront bien assez après.

  • La crise financière de 2008 où la puissance publique a dû voler au secours des marchés et des banques ;
  • La crise sanitaire qui a démontré que l’utilité n’était pas proportionnée à la richesse individuelle, et que sans la solidarité et la citoyenneté tout s’arrête ;
  • La crise énergétique aujourd’hui, mais surtout la crise écologique,

toutes ces crises nous parlent et nous enseignent qu’il est plus que temps de changer de trajectoire, de changer de modèle.

Pour ne prendre que cet exemple, 1% des foyers les plus riches émettent 70 fois plus de CO2 que les 50% les plus pauvres…

Pourtant du Président de la République au Président de notre Département, les droites regardent ailleurs et placent dans leur viseur celles et ceux qui, privés d’emploi, seraient coupables de bénéficier de la solidarité pour tenter de survivre.

Mais qui peut sérieusement penser vivre à 4 avec 939 € par mois ou 598 € pour une personne seule ! Surtout en cette période de forte inflation.

50% des demandeurs d’emplois touchent moins de 1.100 Euros par mois. Pour 95% d’entre eux, c’est moins de 2.300 Euros.

Le Département a le devoir de protéger chacun, à tous les âges de la vie, de soutenir le pouvoir d’achat, d’accompagner les plus fragiles, pas de leur faire les poches si peu garnies.

Une allocation de solidarité est un droit parce que la solidarité est un devoir pour toute société humaine.

La solidarité est désintéressée, sinon ce n’est plus de la solidarité, c’est de la subornation.

Travailler aussi est un droit, mais il n’implique pas comme devoir de soumettre sa propre personne à n’importe quelle injonction du marché, ou alors autant réhabiliter l’esclavage.

N’en déplaise à certains, on travaille pour vivre, on ne vit pas pour travailler. Et comme tout le monde ne peut pas travailler, on fait jouer la solidarité. Le RSA est un simple kit de survie, pas un passeport pour bosser au rabais.

Une allocation n’est pas censée être assujettie à un travail ou alors parlons de travail dissimulé.

Quant au travail, répartissons-le équitablement, par le retour au droit à la retraite à taux plein dès 60 ans, parce qu’une quantité considérable de professions génèrent une fatigue, une dégradation physique et psychologique incompatible avec un exercice professionnel efficient passé ce cap.

Ou encore par l’abaissement de la durée hebdomadaire du travail, qui avec 36,3 heures en moyenne place la France aujourd’hui au 3e rang des pays d’Europe occidentale où l’on travaille le plus, largement devant l’Allemagne qui affiche une durée moyenne de 34,8 heures quand elle est de 29,3 heures aux Pays-Bas (chiffres de l’OCDE).

Toujours autant déconnecté de la vraie vie, le maître Macron prétend que la solidarité nationale, « c’est ceux qui bossent qui la paient » annonçant sa volonté de voir conditionné le versement du RSA à 15 à 20 heures d’activités par semaine.

Reprenant ainsi la vieille rengaine de la droite.

Et notre Président du Conseil, aux côtés de son confrère de la Somme, lui emboite le pas cet été.

Alors nous posons ces questions :

  • Avec 34% de citoyens qui pourraient prétendre au RSA mais qui aujourd’hui n’en bénéficient pas, notre devoir n’est-il pas d’abord de nous attaquer au non recours qui laisse sur le carreau un pan entier de seinomarins ? Mais c’est vrai, il faudrait alors mobiliser 40 Millions supplémentaires sur le budget du Département. On s’y met ?
  • Avec des locataires de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir faire face aux loyers et aux charges, de chauffage notamment, la priorité n’est-elle pas de revenir sur le nouveau règlement du Fonds de Solidarité Logement adopté sous l’ancien mandat et qui a exclu une partie des bénéficiaires potentiels.

Ainsi, nous pourrions avoir un Fonds dont l’évolution correspondrait à la réalité de la vie de ceux qu’il est censé soutenir, plutôt que de le voir régresser puis stagner malgré la crise. C’est une anomalie qui en dit long.

Les demandes déposées au titre du FSL ont chuté de -51% entre 2020 et la moyenne des années 2012/2016 d’avant la modification du règlement… – 8.262 demandes/an en moyenne

Quant au RSA, arrêtez les effets d’annonce, et occupez-vous plutôt de mieux accompagner les bénéficiaires qui peuvent prétendre à un retour à l’emploi immédiat.

L’accompagnement vers l’emploi est déjà la règle pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active, mais sauf pour les personnes n’étant pas en état de travailler et ont besoin de la solidarité.

Or rapport après rapport, étude après étude, on ne cesse de nous dire que cet accompagnement n’est pas généralisé, faute de moyens, faute de solutions d’insertion.

Alors commençons par bien exercer nos compétences avant de vouloir donner des leçons et menacer en les culpabilisant au passage, ceux que la vie a accidenté.

Mais surtout arrêtez les amalgames, arrêtez de généraliser.

Les situations vécues, subies, par les bénéficiaires du RSA recouvrent des réalités très différentes et le propre de l’accompagnement c’est d’apporter des réponses adaptées.

Le RSA n’implique pas de devoir retravailler immédiatement, d’autant que certains ne le peuvent pas.

Pour d’autres, ce filet de protection bien maigre permet de rebondir sans être infantilisé, en disposant d’une toute petite ressource, quelquefois de transition.

Mikael était libraire. Suite à une baisse d’activité, il a été contraint de fermer son commerce. Afin de compenser cette absence de revenu, il a ouvert droit au RSA. Durant cette période où il a perçu le RSA, il a pu concevoir un nouveau projet professionnel et a développé une activité dans le domaine du tourisme. A ce jour il a pu rebondir et il a recréé son entreprise en ligne. Vous auriez-voulu qu’en échange du RSA il accepte d’aller empiler des cartons dans un supermarché ?

Robert est âgé de 93 ans. Suite au décès de sa femme, Robert avait très peu de retraite personnelle, ce qui ne lui permettait pas de faire face à ses charges. La rencontre avec le travailleur social a pu mettre en exergue une absence d’ouverture de droit et des besoins médicaux conséquents. Cet accompagnement permet actuellement de coordonner les actions auprès de Monsieur et d’améliorer ses conditions de vie. Vous comptez lui demander d’aller travailler 10 heures dans les services départementaux ?

Françoise vivait en couple. Elle est victime de violences répétées de la part de son conjoint. Ne percevant qu’une petite allocation chômage (184€/mois) elle pense ne pas « avoir les moyens de se séparer ». Elle ne peut pas prétendre à un logement avec ses seules ressources. On lui explique qu’elle pourrait ouvrir droit au RSA si elle se sépare. Vous comptez lui demandez en échange de passer le permis poids-lourd pour remédier aux offres non pourvues dans le transport routier ?

J’arrête là faute de temps, des témoignages nous en avons malheureusement des dizaines et des dizaines dans nos communes.

Alors en effet, il faut montrer à ceux qui travaillent au quotidien que chacun contribue à l’effort collectif, c’est du Macron dans le texte, alors attaquons nous aux privilèges et aux vrais profiteurs du système.

Quant à ceux qui ont si peu, ne perdons pas tous notre devoir d’humanité. »

Pour télécharger l’intervention de Sophie HERVE : Halte à la chasse aux pauvres – SH

Sébastien

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