Après un long exposé au cours duquel il est revenu sur les différents aspects de la gestion de cette crise, le Président Martin a soumis au Conseil du 4 octobre, la création d’un dispositif départemental de soutien financier aux populations touchées par les conséquences du sinistre de l’usine Lubrizol de Rouen : particuliers, acteurs économiques dont les artisans et les agriculteurs.
Stéphane Barré a ensuite pris la parole, au nom du groupe communiste du Front de Gauche, pour « s’associer à cet hommage rendu aux différents services de secours qui sont intervenus sur ce sinistre de grande ampleur, souvent au péril de la vie et de la santé de leurs agents. Et, parce qu’il s’agit d’une même chaîne humaine, à tous les agents des autres services publics, ayant eu à intervenir, et qui continuent à intervenir, dans la gestion de cette crise. Sans la formation, l’entraînement, l’équipement, le savoir faire et l’engagement sans faille de ces femmes et de ces hommes, cette catastrophe aurait pu se doubler de drames ».
Il a ainsi rappelé « une fois encore, combien les services publics sont précieux, vitaux parfois. Et nous mesurons aussi combien les procédures de contrôle, d’alerte et d’intervention sont capitales. Il est de bon ton de dire que la sécurité n’a pas de prix. Et bien nous pouvons ajouter qu’elle devrait être à l’abri, de toute logique de rationnement budgétaire, comme de toute logique de libéralisation des règlementations. Nous le disons souvent, les moyens doivent couvrir les besoins. Et en matière de sécurité, de santé, c’est non négociable ».
Or, Stéphane Barré a regretté « que les politiques mises en place par le gouvernement d’Edouard Philippe, se soient dangereusement écartées de cette nécessité. Je fais référence aux lois récentes qui ont conduit à l’affaiblissement des compétences de l’autorité environnementale, du droit d’information des salariés et d’enquête des CHSCT dans les entreprises, et du renforcement du secret des affaires, notamment industrielles. Je fais référence à la suppression des autorisations pour augmentation des capacités de stockage. Je fais référence aussi aux logiques d’austérité appliquées aux services publics. Chacun connaît, et nul ne peut contester, la situation de tension persistante dans nos hôpitaux publics. Alors imaginons que ce jeudi, les services hospitaliers aient dû faire face à un afflux de patients ? ».
En conséquence de quoi, il a appelé « à un changement de doctrine, notamment budgétaire au sommet de la Nation. Toutes les catastrophes industrielles ont conduit par l’analyse de leurs causes, à améliorer le niveau de sécurité et d’alerte. A tirer toutes les conséquences de ces accidents. AZF à Toulouse fut à l’origine d’un déploiement utile de mesures destinées à renforcer la sécurité. La mise en place des Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) en est l’une des illustrations, même si force est de constater qu’ils n’imposent pas tous le même degré de contraintes. La catastrophe Lubrizol doit donc également servir pour tirer tous les enseignements utiles dans ce domaine. De même, la pression publique comme l’urgence écologique doivent pousser les industriels à revisiter leurs productions, à investir dans la recherche, afin de participer à la transition industrielle et à la réduction du risque à la source ».
Rappelant au passage que « ce sont là les deux conditions indispensables pour permettre la coexistence entre les activités industrielles génératrices d’emplois, de richesses, et la présence à proximité des lieux de vie quotidienne ».
Et d’en venir à l’information : « Depuis ce jeudi, la population est inquiète, légitimement inquiète. Nous devons lui rendre hommage pour son sang-froid, son sens des responsabilités et sa collaboration. Son attitude a facilité la gestion de cette crise et le travail des services de secours. Mais nous devons aussi, nous lui devons aussi, la plus totale transparence sur la réalité, les réalités, des pollutions qu’elle subit depuis ce jeudi. C’est notre devoir d’élus d’exiger et d’obtenir de l’Etat, toutes les informations et pas seulement des communications contrôlées. Et c’est notre devoir d’élus d’exiger et d’obtenir de l’Etat, le plus haut niveau d’analyse des causes de cette catastrophe. Nous l’avons encore constaté, et ce n’est pas sans raison, la parole publique s’affaiblit, le doute, la suspicion même, se développe. C’est le résultat de plusieurs décennies de décalages entre les attentes de la population et la réalité de l’action gouvernementale. Et c’est le coût d’une certaine logique de communication où l’on travestie les mots en les détournant de leurs sens ».
Stéphane Barré a alerté : « Il s’agirait enfin de réagir. Les citoyens sont responsables et il ne faut plus les considérer pour ce qu’ils ne sont pas ».
Dans sa conclusion, il a fait deux propositions. La première au sujet « des agents de notre collectivité et la nature des « facilités » pour reprendre votre mot, qui leur ont été accordées, nous avons toutes et tous pu nous rendre compte que la fermeture des établissements scolaires, comme les conditions de circulation, ou encore les conditions sanitaires du fait d’une pollution dense sur Rouen, empêchaient de nombreux agents de se rendre au travail ce jeudi et ce vendredi. Cette situation était exceptionnelle et totalement indépendante de leur volonté. Il nous semble par conséquent injuste qu’ils en soient pénalisés. C’est le sens du courrier que je vous ai adressé Monsieur le Président, pour soutenir la demande de l’intersyndicale de notre collectivité, afin qu’à partir de critères motivés par une situation exceptionnelle, et celle qui nous occupe l’était à l’évidence, vous accordiez des congés exceptionnels aux agents concernés ».
Quant à sa seconde proposition, elle visait le dispositif de soutien créé ce jour : « Reste à définir les modalités des aides financières à déployer, et donc les critères à retenir. Afin de prolonger l’unanimité qui sans nul doute accompagnera cette délibération, et la marque de solidarité de notre Conseil, nous vous suggérons Monsieur le Président de créer un groupe de travail pluriel, comme cela a été instauré sur plusieurs sujets à traiter par notre Conseil dans une recherche de consensus. Un groupe de travail intergroupes pour définir ces critères et suivre les exigences de transparence énoncées dans le rapport. Y compris, si l’enquête devait engager leur responsabilité, de se retourner contre l’Etat ou l’entreprise pour obtenir les frais engagés sur le budget départemental. Quant au service départemental d’incendie et de secours, il va sans dire que leur rééquipement doit pouvoir se faire sans délai et donc sans attendre de quelconques arbitrages budgétaires ».
Le vice-président André Gautier a pris ensuite la parole pour dire que « tout le service départemental a été mobilisé dans son ensemble et renforcé par des autres SDIS ». Il a rendu « hommage aux sapeur-pompiers, d’autant qu’à leur arrivée, ils ont estimé que ce sinistre était impossible à éteindre. Et pourtant l’impossible a été fait en 12h… ». Puis il a souligné que nous étions « passés pas loin de la catastrophe. Tous les enseignements devront être tirés et nous devrons retrouver les capacités opérationnelles du service dès les prochains jours ».
Pour le groupe socialiste, Didier Marie s’est associé à cet hommage et a rappelé la demande de commission d’enquête déposée auprès de l’Assemblée Nationale et du Sénat par les parlementaires socialistes. Il a regretté « le refus de la majorité présidentielle à l’Assemblée qui l’a transformé en simple commission d’information, le sénat lui a accepté ». Mais c’est surtout la gestion de la crise qui a alimenté son intervention : « La gestion de la crise n’a pas été à la hauteur : les maires ont été laissés de côté, la sirène d’alerte activée tardivement, les consignes de confinement furent confuses… 5 ministres sont venus pour dire la même chose, mais nous regrettons une absence d’information et des informations contradictoires… La colère a donc succédé à la défiance. Plus de 100 communes sont impactées ».
Didier Marie a ensuite demandé « une étude épidémiologique et la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique, permettant une réparation rapide par application du principe pollueur payeur ». Il a également demandé la nomination d’un Comité d’experts indépendants de nature à rassurer les populations. Enfin, il a questionné « sur le cadre juridique de cette délibération et la nature des critères permettant d’activer les aides » en estimant qu’« il ne s’agit pas de nous substituer aux responsabilités éventuelles de l’Etat et de l’entreprise ».
Charlotte Goujon, maire de Petit-Quevilly, s’est ensuite exprimée avec émotion en disant « le sentiment d’abandon puis de colère des habitants », alors qu’elle-même a été « totalement abandonnée dans la gestion de cette crise ». Face à l’absence d’information et de consignes, elle a précisé que « les habitants ont fui. Depuis le maire est le réceptacle de leur peur, de leurs doutes, de leur colère. La transparence totale ce n’est pas uniquement sur les analyses, les pollutions, c’est aussi sur la gestion de cette crise. Il reste actuellement 160 fûts abimés sur le site. Quant au PPRT de Lubrizol (Plan de Prévention des Risques Technologiques), il concerne 4 habitations. Alors qu’en réalité plus d’une centaine ont été impactées directement par cette catastrophe ! ».
Le vice-président en charge de l’agriculture, Patrick Chauvet, a indiqué ensuite que « 1.000 exploitations agricoles sont concernées par cette accident. Un tiers de la production est touché. 20 % des terres ».
Catherine Depitre, pour le groupe « Pour l’écologie au Département », a considéré qu’il faut « repenser les dispositifs de secours et embaucher… Nous sommes dans l’illusion de la sécurité… ». Elle a pointé la responsabilité du Préfet dans la gestion de cette crise. De nombreux élus, y compris de la majorité des droites allant dans le même sens. L’un deux, Michel Lejeune, mettant également en cause l’entreprise Lubrizol « entreprise américaine aux mains d’un milliardaire et des fonds de pension », pour estimer le besoin de se retourner contre elle afin d’obtenir des indemnisations.
Pour le groupe socialiste, Caroline Dutartre a soutenu la proposition de Stéphane Barré en direction du personnel. Et Bertrand Bellanger, pour le groupe des droites, a rendu « hommage aux communes de l’ouest du département en Pointe de Caux (sous entendu Gonfreville l’Orcher) qui ont une culture du risque industriel et se sont organisées en conséquence ».
Dans sa conclusion, le Président Martin a répondu sur les demandes formulées par Stéphane Barré. La proposition sur le personnel sera étudiée par le CHSCT convoqué en séance extraordinaire mardi. Quant au groupe pluriel, il l’a accepté : « Je propose aux présidents de groupe de se réunir pour en définir les modalités ».
La délibération a été adoptée à l’unanimité.
Pour télécharger la délibération adoptée en séance : Rapport Lubrizol.pdf
Pour télécharger l’intervention complète prononcée par Stéphane Barré : SB Lubrizol.pdf