La vice-présidente Cécile Sineau Patry a présenté, lors du Conseil départemental du 12 décembre, un projet de pacte « prévoyant une stratégie et des orientations pour remédier à la vulnérabilité du territoire havrais structuré autour de l’exploitation des énergies fossiles »… Objectif affiché : « aider ce territoire à assurer sa transition écologique et industrielle à partir de 58 fiches actions opérationnels, dont l’émergence de nouvelles filières industrielles ».
Un pacte beau comme un livre (d’ailleurs une belle plaquette vient d’être publiée), qui a fait réagir Alban Bruneau au nom des élus communistes et républicains : « Participer à la transition écologique et industrielle d’un territoire est un objectif louable et nécessaire. Puisque l’urgence écologique, indissociable dans notre esprit à l’urgence sociale et à l’urgence démocratique, figure au premier rang des priorités à assigner à toutes les politiques publiques. Et la définition d’un pacte dédié localement à cet objectif, sorte de planification de cette transition, mobilisant tous les partenaires, les habitants, les projets, la recherche et les financements, nous paraît une bonne méthode pour y parvenir. Sauf que nous en sommes très loin. Car le pacte proposé ici n’est pas un pacte de transition, c’est un pacte de communication, destiné à servir à la veille des élections ! ».
Et de développer sa démonstration : « Cette urgence écologique et cette transition industrielle s’imposent à tous les territoires qui accueillent une concentration d’industries. Or, ce pacte n’est limité aux quatre territoires concernés par une centrale thermique dont la fermeture a été annoncée en avril par le gouvernement. En le réduisant à ces 4 territoires, le motif est clair : gérer les conséquences de la fermeture d’outils industriels et des plans sociaux qui l’accompagnent. Ici, on n’organise pas la transition, on impose la rupture ! ».
Alban Bruneau s’est longuement arrêté sur la méthode utilisée : « Et pour cela, il convient de faire passer la pilule amère en agglomérant un fourre tout de fiches actions, plus ou moins liées au sujet traité, dont la plupart sont déjà engagées ou réalisées. On prépare ainsi dans la précipitation une belle photo, avec de belles déclarations prévues d’ici peu. Mais où sont les chiffres sur les engagements financiers, de l’Etat notamment ? Des partenaires mobilisés ? Les calendriers de réalisation ? ».
Moralité : « Ce plan pluriannuel d’investissements au service de cette transition, cette planification souhaitable n’existe pas. Et pour cause, ce travail collectif est impossible à réaliser en 8 mois de temps. »
Calendrier énuméré à l’appui, Alban Bruneau a ainsi poursuivi : « Le lancement du Pacte a été annoncé par le ministre De Rugy au Havre en avril de cette année, en même temps que la fermeture de la centrale thermique. Depuis, tous les partenaires sont priés de lui donner de la consistance en adressant aux services de l’Etat tout ce qu’ils ont en stock comme réalisations et projets ayant un lien avec l’écologie. Il n’y a eu ni concertation, ni co-construction. Un Comité de pilotage sous l’autorité de la sous-préfète du Havre a certes été installé, mais le 21 octobre seulement, et il ne s’est réuni qu’une fois. Les maires des communes sur lesquelles s’étend la zone industrielle du Havre ont été oubliés parmi les invités. Tout comme les chercheurs, le monde universitaire ou les syndicats. Quant aux associations, là encore ce fut visiblement panique à bord. Si les associations de défense de l’environnement y figurent, encore heureux, les autres se limitent à un seul comité de quartier sur la bonne dizaine de comités ou d’associations de riverains concernés. J’ai ici l’invitation à ce COPIL unique qui contredit la belle rédaction de cette délibération. C’est mensonger. »
Puis Alban Bruneau est revenu sur le fond du dispositif : « Toutes les interventions du Département sont envisagées, à une exception près, sur des actions à vocation uniquement écologique et touristique, aucunement liées à l’industrie, à la transition industrielle. Sur les fiches actions qui nous concernent, ce n’est pas moi qui appelle chaque année notre collectivité à aller plus loin, notamment lors de l’examen de notre rapport annuel sur la situation du Département en matière de développement durable, qui y verrait quoi que ce soit à redire. Toutes ces actions vont dans le bon sens. Mais j’observe là encore, qu’il s’agit d’actions déjà engagées ou déjà en réflexion qui n’avaient nullement besoin de se retrouver dans ce pacte pour se réaliser. C’est un effet d’aubaine et nous avons raison de nous en saisir, même dans la plus grande improvisation ! »
En conclusion, il a affirmé : « C’est avec ce genre d’outils de com à partir d’un travail déconnecté des gens que l’on aggrave la coupure entre les élites et les citoyens. Le sujet, ô combien sérieux, vital même de la transition industrielle et écologique mérite bien mieux que cette tambouille. Nous nous abstiendrons, car si la plupart des fiches actions sont utiles, la méthode est répréhensible du point de vue écologique, social et démocratique. »
Des arguments qui ont entrainé une interruption de séance à la demande du groupe socialiste qui, une fois revenu dans l’hémicycle, a annoncé par la voix de Pierrette Canu : « Nous ne voterons cette délibération trop floue, on a l’impression de signer un chèque en blanc. »
C’est donc une fois encore le groupe Pour l’écologie au Département qui est venu à la rescousse de la majorité des droites visiblement embarrassée. Nacéra Vieublé a indiqué que « ce pacte est un grand défi et les enjeux sont de taille. Le nouveau modèle écologique présenté doit déboucher sur des emplois nouveaux pour compenser ceux qui disparaissent… Certes la concertation semble avoir été difficile mais notre collectivité ne peut que s’y associer. »
Pour le groupe des élus indépendants, Dominique Métot a annoncé une abstention, admettant que « c’est en effet un pacte de communication sans concertation ».
La surprise est ensuite sortie des rangs de la majorité, puisque Denis Merville s’est dissocié de ses collègues : « J’ai bien écouté la Ministre Borne qui a dit qu’il faut associer l’ensemble des partenaires, et j’y souscris. Or ce rapport nous arrive avec 58 fiches préparées sans que, ni les maires, ni les conseillers départementaux, ni même les vice-présidents de la Communauté Urbaine du Havre n’aient été associés. Cette concertation affirmée, je la cherche… Beaucoup de choses vont dans le bon sens à travers 5 axes. Moi j’aurais commencé par les personnels qui perdent leur emploi et l’avenir du site à fermer avant de définir ces axes… Quand on regarde les actions prévues c’est un peu le fourre tout… Individuellement les actions sont bonnes, mais quel est le lien entre le foncier bâti, le maraichage, les boues de station d’épuration, la 5G, la desserte touristique du littoral, Aquacaux etc… C’est un catalogue à la Prévert… ».
Il a conclu : « Beaucoup ici de créations d’observatoires, d’études à lancer, mais pas beaucoup de chiffres à l’arrivée. C’est une façon de faire qui n’est pas la vôtre monsieur le président, qui n’est pas la nôtre ici. Vous avez toute ma confiance, mais vous avez aussi à faire respecter les conseillers départementaux par l’ensemble de nos partenaires. Moi je crois ce que je vois et je ne peux donc que m’abstenir ».
Sortant ses rames, son collègue de la majorité Jean-Louis Rousselin a alors tenté de jeter de la confusion dans le débat rappelant la nécessité de fermer les centrales à charbon alors même que personne n’a contesté ce point… Mais il a tout de même admis la réalité du document présenté : « Certes ça peut paraître fourre tout mais c’est bien l’attractivité globale du territoire qui est recherchée… ».
Ce qui fit réagir Stéphane Barré pour le groupe communiste : « Il ne faut pas duper la population, on est tous d’accord pour la transition écologique ».
Pour le groupe socialiste, Bastien Coriton a cherché ensuite à obtenir le report de cette délibération « compte tenu des questions soulevées ». Mais sans succès, la vice-présidente Florence Thibaudeau-Rainot étant visiblement pressée d’en finir : « Nous avons besoin de rassurer, pas besoin d’en rajouter. Certains propos sont anxiogènes, ils parlent d’urgences, ce n’est pas ce que les gens ont besoin ».
Dans sa conclusion la vice-présidente Sineau Patry a reconnu que les fiches action qui concernent le Département sont déjà engagées. Quant au Président Bellanger, il a considéré que « nous ne sommes pas maître d’ouvrage, nous sommes sollicités, c’est une opportunité pour nous d’être au rendez vous »…
La délibération n’a recueilli que 37 voix sur 70, 33 élus ayant décidé de s’abstenir.
Pour télécharger l’intervention complète d’Alban Bruneau : Pacte transition Le Havre